15 avril 2024 – 26 avril 2024
11 jours – 9 étapes
545 km – 6400 m D+
Monténégro, 15 avril 2024… ça y est, on sort de l’Europe et on entre dans un pays qui nous est inconnu !
Au sortir de la douane, surprise, une piste cyclable nous attend ! On est tout content, ça faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu l’ombre d’un petit symbole « vélo »…mais ce n’était qu’un leurre, moins d’un kilomètre plus loin, la fête est déjà finie et nous retrouvons la route et ses voitures. Nous arrivons pour l’heure du déjeuner à la ville d’Igalo où nous engloutissons une pizza. Les gens sont bien plus avenants et souriants qu’en Croatie, ça nous fait plaisir ! Nous croisons un couple de cyclo français, ils sont sur la route du retour après un an à sillonner l’Europe et la Turquie. Ils sont tout déprimé de devoir rentrer, chercher un travail, un appartement, bref, retrouver la vie « normale ». Nous avons l’impression de nous voir dans quelques mois car, si l’on sait que l’on sera heureux de retrouver notre chez-nous, nos familles et nos amis, qu’en sera-t-il du quotidien ? On se secoue, avant de penser au retour, il y a un voyage à accomplir et des aventures à vivre. D’ailleurs, c’est l’heure de repartir !
Nous arrivons dans les Bouches de Kotor par une route calme. L’endroit est magnifique : la mer s’immisce dans l’intimité des montagnes et vient s’échouer, vaincue, à leurs pieds. Les pentes, de 1700m de dénivelé, sont abruptes mais verdoyantes. Dans le dernier golfe, telles des bouées, flottent deux îles qui hébergent un monastère et une chapelle.
On retrouve mes parents (Marie) dans un petit camping, à l’entrée de ce dernier golfe. Papa gonfle le kayak et embarque Romain pour un tour en mer. Le lendemain, nous faisons le tour de la baie à vélo, et nous visitons les jolies villes de Perast et Kotor sous la pluie, ce qui nous décide à prendre un petit appartement pour la nuit. Nous apprenons que la Baie de Kotor n’est pas, comme elle est souvent appelée, un fjord, car elle n’a pas été creusée par un glacier. C’est donc bien une baie, et pas n’importe laquelle puisqu’elle fait partie du très sélectif Club des plus belles baies du monde… Quitte à inventer des clubs qui n’ont aucun sens, laissons-nous tenter par la compétition ! Le Club des adorateurs de réflecteur de rayon ? Le Club des vélos tristes de ne pas être équipés d’une sonnette… Le Club pour le renommage des « Nids de poule » en « Brise-fesse de cycliste ». On peut s’amuser longtemps comme ça ! Blague à part, ce club des plus belles baies du monde œuvre pour la conservation de ces baies et leur préservation du tourisme de masse. C’est raté pour les Bouches du Kotor, car de très nombreux bateaux de croisière mouillent dans ce port naturel et dégorgent leurs touristes dans les ruelles de Kotor et Perast.
Nous attaquons la journée du lendemain par les lacets de la bien (re)nommée route de la Serpentine. Le froid et le brouillard nous enveloppent au fur et à mesure que l’on monte. Au sommet, on distingue à peine nos guidons, on ne profitera donc pas de la vue sur les Bouches de Kotor. Pas grave, l’ambiance est dingue, nous sommes seuls sur la route et, alors que nous passons le tunnel peu avant la ville de Čekanje, le brouillard se dissipe sous les rayons du soleil, nous offrant une belle vue pour le pic-nic !
Nous retrouvons mes parents à l’entrée du lac Skadar, au village de Rijeka Crnojevića, après une belle et longue descente et un petit détour par le sublime point de vue Pavlova Strava. On se régale de poisson dans un restaurant avant d’aller nous coucher, une grosse journée nous attend demain !
Nous nous levons tôt le lendemain matin et embarquons sur un bateau à fond plat pour une excursion sur le lac Skadar. Nous empruntons d’abord la rivière avant d’arriver dans les méandres du lac, dans une zone nommée par les locaux (un peu chauvins si vous voulez mon avis) « Petite Amazonie ».
En ce début de journée, le lac est un parfait miroir magnifiquement mis en valeur par la lumière matinale. Les oiseaux sont nombreux et nous dérangeons quelques cormorans, pélicans et une multitude d’autres espèces que l’on ne saurait pas nommer. Ce qui n’empêche pas de les trouver beaux. Le bateau fend l’eau, notre guide adapte sa vitesse et nous approchons au ralenti la faune, parfois le moteur rugit pour passer des zones où l’eau n’est pas assez profonde pour que l’on puisse s’y attarder. Le ciel se reflétant parfaitement dans l’eau, on a alors l’impression de voler. Au détour d’un champs de roseau, des nénuphars en fleur et quelques grenouilles et libellules.
Notre guide se prend au jeu, nous sommes parmi ses premiers clients de l’année, et nous emmène dans des recoins secrets. Il nous explique que c’est la meilleure période de l’année pour profiter du lac. Ensuite, le niveau de l’eau baisse drastiquement, il n’y a alors plus qu’une seule route possible pour parcourir cette zone. De plus, il a plu ces derniers jours, le ciel est parfaitement clair, la nature est riche et verdoyante. Nous savourons ces quelques instants hors du temps, seuls dans cet environnement incroyable, nous croisons parfois un pêcheur qui salue notre guide d’un « Dobro Jutro », « Bon matin », accompagné d’un geste de la main.
Le temps file et notre petite excursion se termine. Nous remercions chaleureusement notre guide et, après avoir chargé le gros de nos sacoches dans la voiture de mes parents, reprenons la route.
La beauté de cette journée n’est pas terminée puisque nous empruntons sur 70km la Panoramic Road n°3, qui longe la rive sud-ouest du lac. Sa couleur, d’un bleu cobalt, et sa taille, en cette saison, il est à peine moins grand que le lac Léman, se dévoilent sous nos yeux grands ouverts.
La route est difficile, l’étape du jour sera de 85km pour 1600m de dénivelé positif, mais chaque virage nous enchante, chaque montée, chaque descente nous en montre un peu plus. Finalement, le ciel se couvre de gros nuages noirs, la lumière s’en retrouve magnifiée, et nous nous mettons à l’abri dans un garage pour laisser passer l’orage. Quelques kilomètres plus loin, ce n’est pas de l’eau qui est tombée mais de la grêle. L’atmosphère se refroidit brusquement et nous roulons dans cette ambiance irréelle.
Après une dernière pause photo, nous basculons dans une longue descente qui nous amène à la frontière albanaise, que nous passons sans difficulté. Les derniers kilomètres sont longs avant d’arriver à la ferme qui nous accueillera pour la nuit, mais le changement d’ambiance est si soudain que tous nos sens sont en éveil. La langue change de sonorité, la route nous secoue un peu plus, les voitures nous klaxonnent, les gens nous font de grands sourires depuis leurs scooters (possibilité accordée par le non-port du casque évidemment), les chiens errants nous regardent passer, la queue basse, l’appel à la prière résonne (eh oui, l’Albanie est un pays à majorité musulmane) et c’est une première pour Romain.
Après avoir retrouvé mes parents et mangé un bon plat de pâte sauce tomate, nous allons nous coucher dans les petites chambres de la ferme, nos corps sont fourbus de fatigue, les lourdes couvertures nous tiennent bien chaud…bonne première nuit en Albanie !
Ce matin, on dit aurevoir à mes parents pour 2 jours. Ils vont aller visiter le Nord de l’Albanie et nous rejoindront demain soir à Tirana, la capitale de l’Albanie, tandis que nous longerons aujourd’hui la côte Ouest jusqu’aux lagunes de la Küne-Vain-Tale Reserve avant de bifurquer vers l’Est le lendemain pour les retrouver. Ces 2 jours dans ce nouveau pays sont entrecoupés d’un magnifique bivouac sur la plage, option coucher de soleil flamboyant.
Nous traversons de multiples petites villes et villages, la pauvreté est d’autant plus marquante qu’elle est soudainement apparue juste après la frontière. Une frontière, quelques mètres seulement, quelques secondes de plus ou de moins, une ligne imaginaire tracée par l’Homme, et tout change. La langue, la monnaie, les croyances. L’espérance de vie, l’humour, la gastronomie. La manière d’aimer, d’éduquer ses enfants, de s’exprimer. L’accès à l’eau potable, la gestion des déchets, le système de santé. Ce passage de frontière nous aura profondément marqué. Il est tout de même à noter que, si la population est à majorité musulmane, la religion n’est pas fortement ancrée dans le quotidien des albanais et albanaises. En particulier, il n’y a qu’une infime minorité de femmes voilées. La langue albanaise, bien que possédant des sonorités proches des langues des balkans, est unique en son genre, à l’image de son histoire qui, si vous avez un peu de temps, gagne à être connue.
Nous roulons 110km, plutôt plats, jusqu’à Tirana. 110km de mauvaise route, les déchets plastiques sont partout, notamment dans les cours d’eau. Les bergers nous saluent de la main depuis le bas-côté. La plupart ne garde pas plus d’une dizaine de bêtes, vaches ou moutons. Les enfants nous font coucou, on nous remplit spontanément nos gourdes d’eau potable fraîche dans les cafés, nombreux, où les hommes s’attardent pour discuter. Les automobilistes nous doublent plutôt sagement : les albanais(es) ne sont pas pressés. Les voitures, majoritairement des Audi ou des Mercedes d’une quinzaine d’année, sont rutilantes. On comprend qu’elles sont un marqueur social fort, et on trouve une station lavage tous les 10 mètres (sans exagération !). Elles se constituent d’un simple karcher, d’un seau avec du savon, d’un panneau indiquant Lavazh et d’un albanais assis sur un tabouret qui attend patiemment la prochaine carcasse à nettoyer. Car, si les voitures sont rutilantes, elles ne sont pas en bon état (selon nos critères français habitués au contrôle technique) et crachent une épaisse fumée noire. Le long de notre chemin, nous croisons une multitude de maison dont la construction du premier étage n’est pas finie, la dalle faisant donc office de toit pour l’habitation du rez-de-chaussée. Apparemment, cela permet de ne pas payer d’impôt sur la maison puisqu’elle n’est pas terminée.
L’entrée dans Tirana est un sacré chantier. Nous roulons 40km sur un gros axe, mais un énorme bouchon se forme et nous allons finalement plus vite que les voitures. Vers 13h, affamés et la « sacoche de bouffe » vide, nous nous arrêtons, reconnaissants, dans un petit boui-boui en bord de route de la zone commerciale, où 2 femmes souriantes nous préparent de grandes assiettes de pâtes aux œufs.
Nous arrivons ensuite dans les quartiers populaires et un groupe de jeunes filles d’une dizaine d’année accourt vers nous et nous noie de question, dans un anglais parfait. Les fillettes sont habillées pauvrement, mais leurs grands sourires édentés nous font chaud au cœur. On discute plusieurs minutes avec elles avant de prendre congé sous les cris d’aurevoirs.
Nous arrivons finalement dans le petit appartement réservé avec mes parents (30€ la nuit pour 4) au Sud de Tirana, juste avant la pluie.
Tirana est à l’image de son pays : hétéroclite et en travaux. De grands buildings en construction côtoient les immeubles délabrés. Les bâtiments ont été colorés pour chasser le triste gris communiste dans les années 90.
Nous y resterons un jour et demi avec mes parents, et effectuerons une visite de la ville, d’abord par nos propres moyens, puis avec un guide local baragouinant plus que parlant français. On en comprend tout de même un peu plus sur l’histoire du pays, la partie la plus récente notamment. Durant 40 années du siècle dernier, le peuple albanais a souffert sous le joug du despote Enver Hoxha, qui a plongé l’Albanie dans un profond isolement. Dans sa paranoïa, il a fait construire 600 000 bunkers répartis dans tous le pays (qui n’est pas très grand ! à peu près autant que la région Bretagne). Économiquement, ce n’est pas non plus la joie, et la plupart des grandes banques et autres investissements importants est étrangère. L’exode des albanais(es) vers la Grèce ou l’Italie est massif, le pays se vide lentement de sa jeunesse. Néanmoins, nous trouvons la ville vivante et joyeuse, égayée par de nombreux bars et restaurants.
Nous quittons Tirana le 22 avril, et c’est également l’heure des aurevoirs avec mes parents qui vont poursuivre leur route de leur côté pour profiter pleinement de leurs derniers jours de voyage en Albanie avant de rentrer pour la reprise du travail. Merci d’être venus jusqu’à nous !
Partis de Tirana, nous roulons jusqu’à Elbasan, une ville de 140 000 habitants (tandis que Tirana en compte 560 000 soit environ 15% de la population albanaise) à 50km au Sud-Est de la capitale par une belle route à travers les montagnes. Là, nous nous abritons deux nuits dans une petite chambre et passons toute la journée dans un café de la ville, regardant la pluie tomber. On en profite pour trier nos photos, envoyer des nouvelles, écrire sur les réseaux, éditer une vidéo. Nous trouvons l’ambiance maussade dans la ville. Les gens nous regardent de travers, un groupe de jeunes garçons, d’une dizaine d’année eux-aussi et cigarette à la bouche, vient nous mendier de l’argent. Nous pensons aux fillettes de Tirana, et nos coeurs se serrent : avec la pluie de ces derniers jours et au vu de l’état de délabrement des maisons de leur quartier, elles ne doivent pas dormir au sec.
Nous sommes heureux de repartir sous le soleil jusqu’à la ville de Pogradec, au sud du lac Ohrid. Initialement, nous avions prévu de continuer à longer la côte Ouest du pays pour arriver à la ville grecque d’Igoumenitsa, mais nous sommes en avance sur notre planning (2 amis nous rejoignent le 14 mai en Grèce, on vous en dit plus dans le prochain article !), nous décidons donc d’aller voir les Météores, dans les montagnes au Nord de la Grèce, et nous prenons ainsi la direction du Sud-Est de l’Albanie.
La route jusqu’à Pogradec est d’abord difficile, nous sommes sur une route nationale, une autoroute est en construction juste à côté et les camions du chantier transportant de la boue ocre gorgée d’eau nous doublent, souillant la route. De l’autre côté de la chaussée, une voie ferrée est à l’abandon. On se réfugie dans un petit restaurant dans la ville de Prrenjas pour prendre des forces avant la montée du jour. Ça en aura valu la peine, le lac d’Ohrid est sublime.
Après une longue descente, nous longeons la rive Est du lac jusqu’à Pogradec, ville frontalière avec la Macédoine du Nord. Nous avons l’impression d’avoir changé de pays. La ville est riche, bien entretenue, avec de jolis parcs, il n’y a pas un déchet à l’horizon. Nous prenons de nouveau un hôtel pour éviter la pluie de la nuit (heureusement que les logements ne sont pas chers !), le pommeau de douche est littéralement au-dessus des toilettes, ce qui nous fait beaucoup rire.
Nous roulons le lendemain jusqu’à la petite et très belle ville de Korçë. Encore une fois, il pleut cette nuit et nous nous trouvons une petite chambre toute mignonne avec Netflix, ce qui nous permet de regarder les derniers épisodes de One Piece, on est tout content. On visite la ville, un peu fantôme en cette saison (car c’est une ville touristique) mais l’ambiance est tout de même sympa. L’église orthodoxe, grande et richement décorée, nous fait comprendre que nous arrivons bientôt en Grèce. Et en effet, nous passons la frontière le lendemain, juste après notre dernier pique-nique albanais !
Nous avons été gâtés par ces deux petits pays des balkans, le Monténégro et l’Albanie, tant par la richesse et la beauté de la nature du Monténégro que par les premières sensations de dépaysement ressenties en Albanie.
Le Monténégro reste un pays assez cher mais, vous l’aurez compris, l’Albanie est quant à elle, très bon marché.
On aura également bien mangé en Albanie, la gastronomie ressemble à ce que nous allons trouver en Grèce : des salades, de la viande grillée, des desserts à base de miel et de gras, du tatziki et du houmus, mais également quelques spécialités comme le fërgese tiranë, une sorte de purée de poivrons verts et rouges accompagnée d’une sauce tomate et d’oignons confits.
On ne peut que vous encourager à visiter ces deux pays maintenant, avant que le tourisme de masse ne vienne s’y implanter ! Dépaysement et nature sauvage seront au rendez-vous !